L’arbitrage dans la Principauté d’Andorre : une loi moderne et une institution d’arbitrage récente

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Par Pierre Raoul-Duval, Président du TAPA et Juan Pablo Correa, Secrétaire général du TAPA

Cet article fait partie d’une série d’articles rédigés en anglais, en espagnol et en français afin de faire connaître le régime arbitral andorran. L’objectif de cet article est de fournir aux juristes francophones une vision succincte et interne de l’arbitrage en Andorre. Les lecteurs peuvent également consulter les articles en anglais et en espagnol.

L’histoire de l’arbitrage en Andorre remonte à la création de la Principauté. Cette dernière est le fruit de deux sentences, rendues en 1278 et 1288, qui ont donné lieu à la signature entre l’évêque d’Urgel et le comte de Foix, des accords transactionnels fondateurs dénommés « Paréages ».

En dépit de ce contexte ancien et du fait que l’arbitrage ait été conduit en Andorre sur une base ad hoc tout au long de son histoire, ce n’est que récemment, le 18 décembre 2014, que la Principauté s’est dotée d’une loi régissant l’arbitrage tant interne qu’international (Loi 47/2014, ci-après désignée la « Loi »).

L’objet du présent article est de fournir un aperçu des règles légales applicables en matière d’arbitrage et de présenter le Tribunal Arbitral de la Principauté d’Andorre (le « TAPA »), créé le 31 mai 2018 pour l’administration des différends (Loi 13/2018, ci-après désignée la « Loi TAPA »).

Principales caractéristiques de Loi andorrane sur l’arbitrage

La Loi régit toutes les procédures d’arbitrage conduites dans la Principauté d’Andorre incluant, à titre supplétif, celles relevant de la mise en œuvre d’arbitrages prévus par d’autres lois. La Loi s’applique tant à l’arbitrage en droit qu’à l’arbitrage en équité et elle offre aux parties le choix entre l’arbitrage institutionnel et l’arbitrage ad hoc.
Conformément à la pratique habituelle, les parties peuvent choisir d’adopter des règles procédurales spécifiques, directement ou par renvoi à une institution d’arbitrage, lesquelles prévaudront sur les dispositions non impératives de la Loi.

Suivant le modèle dualiste du système juridique français, la Loi établit une distinction entre l’arbitrage interne et international. Cependant, elle intègre un large tronc commun de règles qui s’appliquent aux arbitrages internationaux par renvoi aux dispositions internes.

Aux termes de l’article 4.2 de la Loi, un arbitrage est qualifié d’international lorsque l’on se trouve en présence d’un des éléments suivants :

  • Au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage, les parties ont leur domicile respectif dans des États différents ;
  • Le siège de l’arbitrage est situé en dehors de l’État dans lequel les parties ont leur domicile ;
  • Le lieu d’exécution d’une partie substantielle des obligations est situé en dehors de l’État dans lequel les parties ont leur domicile ;
  • La relation juridique à l’origine du litige met en jeu les intérêts du commerce international ;
  • Les parties ont expressément convenu que la question faisant l’objet de la convention d’arbitrage est liée à plus d’un État.

La Loi est divisée en trois titres et 18 chapitres regroupant au total 73 articles.

Le Titre I est consacré aux dispositions générales. Il recouvre, notamment, l’objet de la Loi, son champ d’application ainsi que ses règles d’interprétation, de computation des délais et de communication.

S’agissant des domaines d’application de l’arbitrage, le législateur a choisi de ne pas en dresser une liste exhaustive et a retenu une formule générale autorisant le recours à l’arbitrage pour tous les litiges portant sur les matières relevant de la libre disposition des parties. Toutefois, les arbitrages en matière du droit du travail et de la consommation sont exclus du domaine d’application de la Loi (article 2.3).

Le Titre II régit l’arbitrage interne en dix chapitres, couvrant la totalité de l’instance arbitrale, y compris le recours au juge d’appui andorran, de l’introduction de la requête jusqu’à la procédure d’annulation. Sont notamment abordés : le contenu de la convention d’arbitrage, la constitution du tribunal arbitral et le pouvoir des arbitres, les mesures conservatoires, la conduite de la procédure et la sentence elle-même.

Enfin, le Titre III est entièrement consacré à l’arbitrage international, mais renvoie, pour l’essentiel, aux dispositions du Titre II. En revanche, quelques règles spécifiques s’y retrouvent, telle celle prévoyant que si les parties souhaitent que l’arbitrage soit confidentiel, elles doivent en convenir expressément (article 67) ou celles concernant la contestation des sentences en matière d’arbitrage international rendues en Andorre ou à l’étranger (articles 71 et 72).

Parmi les dispositions applicables aux arbitrages tant internes qu’internationaux, on relèvera, en raison de leur caractère inhabituel, les éléments suivants :

  • Nomination de l’arbitre, le cas échéant, par le Tribunal andorran de première instance (Batllia) par tirage au sort sur une liste de trois noms (articles 17 et 18) ;
  • Pouvoirs spécifiques accordés à la Batllia pour la reconnaissance et l’exécution des mesures provisoires adoptées par le tribunal arbitral (articles 36 à 38) ;
  • Droit de soumettre des documents en espagnol, en français ou en anglais sans traduction (article 43.2) ;
  • Possibilité pour le Tribunal Supérieur andorran, au stade de la requête en annulation, d’inviter le tribunal arbitral à reprendre la procédure pour éliminer le motif du recours (article 56.4).

Concernant l’arbitrage international, les motifs d’annulation des sentences rendues en Andorre et de refus de reconnaissance et d’exécution des sentences rendues à l’étranger (articles 70 à 73) sont quasiment identiques à ceux que l’on trouve dans la Convention de New York de 1958, dont l’Andorre est signataire depuis le 19 juin 2015.

Enfin, pour promouvoir l’arbitrage en Andorre, l’article 15 de la Loi prévoit la création d’une institution dédiée au suivi de son développement et à l’administration des litiges, internes à la Principauté ou internationaux, qui pourraient lui être confiés.

Tribunal Arbitral de la Principauté d’Andorre

En application de l’article précité de la Loi, le Tribunal Arbitral de la Principauté d’Andorre a vu le jour le 31 mai 2018 avec l’adoption de la Loi TAPA.

Indépendant de l’autorité publique, le TAPA, dont les membres fondateurs sont la Chambre de Commerce, d’Industrie et de Services (CCIS) et le Barreau des Avocats d’Andorre (CADA) est une institution qui a pour vocation d’administrer les dossiers d’arbitrage qui lui sont confiés.

Au titre de la Loi TAPA, le CCIS et le CADA ont été chargés de rédiger les statuts de l’institution et d’établir la composition et le fonctionnement de ses instances dirigeantes. En outre, ils ont été chargés de rédiger le Règlement d’arbitrage qui s’appliquera aux procédures administrées par elle.

Les organes directeurs du TAPA sont l’Assemblée (ou “Ple”) et le Secrétariat général. L’Assemblée doit être composée d’au moins sept membres ayant droit de vote. Trois d’entre eux sont nommés par la CCIS et trois autres par le CADA. Les six membres du Ple doivent désigner un septième membre qui exercera les fonctions de Président.

Le Secrétaire général assure, par délégation de l’Assemblée, le suivi des procédures arbitrales confiées au TAPA. Nommé par le Ple, il assiste et intervient en tant que secrétaire des réunions de l’Assemblée. Toutefois, il ne détient pas de droit de vote. En outre, le Secrétaire général est chargé de l’élaboration du budget annuel du TAPA qui doit être approuvé par l’Assemblée.

La Loi TAPA s’achève par un chapitre consacré aux règles financières et comptables, lequel prévoit que les statuts de l’institution doivent fixer son régime financier.

Les statuts du TAPA, figurant en Annexe 1 du Règlement d’arbitrage, définissent la nature juridique de l’institution. Ses dispositions générales précisent qu’elle est soumise au droit privé, qu’elle bénéficie de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et qu’elle dispose des pleins pouvoirs pour posséder et disposer de biens en vue de la réalisation de ses objectifs.

Par ailleurs, ajoutant aux dispositions de la Loi TAPA, les statuts prévoient la constitution d’un organe spécifique, le Conseil Arbitral, pour assister l’Assemblée et le Secrétaire général. Cette instance est composée de cinq membres : un membre nommé par chacun des fondateurs du TAPA ; un membre nommé par l’Assemblée qui doit avoir une expérience reconnue en matière d’arbitrage et être totalement indépendant des membres fondateurs ; du Président et du Secrétaire général.

Le Conseil Arbitral détient la compétence exclusive de l’administration des procédures arbitrales, une compétence exercée par le Secrétaire général par délégation du Conseil. Il possède également – par délégation de l’Assemblée – le pouvoir exclusif de nommer et/ou de confirmer les arbitres dans les conditions prévues par le Règlement d’arbitrage.

On relèvera l’attention particulière apportée, dans les statuts, aux dispositions relatives aux exigences et incompatibilités des membres du TAPA, ainsi qu’à l’indispensable indépendance et absence de conflit d’intérêts de l’arbitre.

Ces dispositions ont pour objet d’assurer que le TAPA opère en toute neutralité, en tant qu’institution et comme organe d’administration des procédures d’arbitrage qui lui sont confiées.

Enfin, figure aux statuts une clause interdisant aux membres du TAPA d’intervenir, soit comme arbitre, soit comme conseil de l’une des parties, dans toute affaire soumise à l’institution. Toutefois cette interdiction peut être levée par accord exprès des parties et avec le nihil obstat du Conseil Arbitral, au vu des circonstances de l’espèce.

Le Règlement d’arbitrage du TAPA

Le Règlement d’arbitrage du TAPA qui était en vigueur depuis le 1er janvier 2021 a fait l’objet d’une révision pour tenir compte de l’impact de la Covid-19 sur la conduite des arbitrages et des dernières évolutions de la pratique. Aujourd’hui doté de 34 articles, il a conservé son caractère succinct et moderne et régit l’ensemble du processus arbitral pour les procédures introduites après sa date d’entrée en vigueur fixée au 1er juin 2023.

Le Titre I consacré aux dispositions préliminaires, traite de l’application du Règlement, des notifications et des communications ainsi que de la computation des délais.

Le Titre II traite de l’ouverture de la procédure, de la demande d’arbitrage et de la réponse à celle-ci, de l’effet des conventions d’arbitrage et de l’intervention des tiers dans le cadre du litige. À cet égard, on relèvera la disposition particulière de l’article 6 qui permet, à la discrétion du Conseil Arbitral, de procéder à la jonction de procédures introduites devant le TAPA, même si elles n’impliquent pas les mêmes parties, et de faire intervenir des tiers dans la procédure.

Le Titre III regroupe les dispositions relatives à la constitution du tribunal arbitral, à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ainsi qu’à la récusation et au remplacement de ce dernier.

Le Titre IV (articles 10 à 21) aborde l’ensemble des règles régissant la conduite de l’arbitrage, de la transmission du dossier par le Secrétariat au tribunal arbitral et l’établissement de l’acte de mission par ce dernier, jusqu’à la clôture des débats. Il recouvre notamment la question des demandes nouvelles, de l’instruction de la cause, des mesures conservatoires et des audiences.

On notera, en particulier, en raison de leur caractère inhabituel :

  • L’article 10.4 qui autorise le tribunal arbitral à convoquer une réunion, après le premier échange des mémoires sur le fond, afin de traiter des points qu’il estime devoir être clarifiés ;
  • L’article 12 qui permet aux parties de produire des pièces ou documents rédigés en français, en espagnol ou en anglais, sans avoir à fournir de traduction, sauf décision contraire du tribunal arbitral ou des parties ;
  • L’existence d’une « clause verte » invitant les parties, leurs conseils, le tribunal arbitral et le TAPA à considérer la possibilité de se référer aux Green Protocols édictées par « The Campaign for Greener Arbitration » (article 21).

Enfin, le Titre V a trait à la sentence, sa forme, ses effets ainsi qu’au délai de 6 mois dans lequel elle doit être rendue, courant à compter de la date de la signature de l’acte de mission, sauf prorogation accordée par le Conseil Arbitral.

Un projet de sentence doit être soumis pour approbation par le tribunal arbitral au Conseil Arbitral qui peut exiger des modifications de forme, mais pas de fond. Il peut également formuler toutes observations qu’il juge nécessaires pour la régularité de la sentence. Il convient de souligner que si l’émission tardive d’une sentence n’affectera pas sa validité, les arbitres pourront cependant voir leur responsabilité retenue en raison du retard – article 52.2 c) de la Loi.

Une fois la sentence notifiée aux parties, ces dernières disposent d’un délai de 30 jours pour demander au tribunal arbitral d’éclaircir un ou plusieurs points particuliers de la sentence, de la compléter pour couvrir des demandes non traitées ou de corriger toute décision ultra petita (article 24.1). Enfin, les derniers titres VI à VIII fixent les règles relatives aux frais de l’arbitrage, à la procédure d’urgence et à la renonciation au droit de faire objection pour défaut de respect des dispositions du Règlement.

S’agissant de l’arbitrage d’urgence, objet des articles 27 à 32, l’arbitre désigné doit rendre sa décision dans les 15 jours de sa saisine, en la forme d’une ordonnance motivée. Les parties sont liées dans les termes de l’ordonnance rendue, laquelle cessera d’être applicable si une demande d’arbitrage n’est pas formulée dans les 15 jours de la décision de l’arbitre d’urgence.

Dotée d’un droit de l’arbitrage moderne et d’un règlement d’arbitrage « state of the art », la Principauté d’Andorre, pays multiculturel et neutre, offre un siège approprié aux tribunaux arbitraux et une institution de premier ordre, le TAPA, pour le règlement des litiges de la communauté des affaires, tant andorrane qu’internationale (voir le site du TAPA : https://tapa.ad).